Claire Laffut : “La création, finalement, c’est un élan”
Le chant et la musique, mais aussi la peinture, le dessin, la direction artistique (de ses clips, notamment)… on ne compte plus les talents de Claire Laffut. Toutes ces disciplines, l’artiste de 25 ans les maîtrise aussi bien les unes que les autres. Son premier EP Mojo, sorti en novembre 2018, en est la preuve. De passage sur la scène du Rooftop du Champs-Élysées Film Festival le dimanche 23 juin dernier, celle-ci s’est révélée être à la fois troublante et touchante. Entretien avec la prochaine révélation belge.
Peux-tu me résumer ton parcours, de la danse classique au mannequinat, en passant par la création de tatouages éphémères jusqu’à la musique ?
J’avais une académie dans mon village, où j’allais tous les jours après l’école. Ma mère m’y conduisait ; c’était ma deuxième maison. Le lundi, j’avais piano, le mardi, j’avais solfège. C’est elle qui m’a un peu poussée à tester plein de choses pour découvrir plusieurs arts : le dessin, la musique, la danse, j’ai toujours tout continué et je n’ai pas vraiment réussi à faire un choix. Ça, c’était vraiment mon ambiance quand j’étais petite. Puis, je suis rentrée dans une école de danse. Je faisais un peu de piano. Tout ça m’a conduite à la musique aujourd’hui. C’est ce qui permet de jouer dans mes clips, de faire le graphisme de mes pochettes, et je trouve que tout ce que j’ai fait avant m’aide à créer mon univers. Aujourd’hui, je fais ça et c’est ce qui me passionne le plus. C’est comme ça que j’ai envie de m’exprimer.
Comment parviens-tu à t’organiser dans tout ce travail ? Peux-tu m’en dire plus sur ton équipe et notamment sur ta collaboration avec Tristan Salvati ?
J’ai un manager qui est là depuis le début. On va réfléchir carrière ensemble et essayer de faire tous les choix ensemble. Il va vivre tout ce que je vis. J’ai mes musiciens. Je ne sais pas si tu as vu, mais il y avait Gaspard qui faisait du clavier [sur scène]. On a tellement joué ensemble que maintenant on crée des morceaux ensemble. Et c’est lui qui va faire mon album. Tristan Salvati a fait mes premiers titres. On a une énergie incroyable en studio, mais on s’est dit qu’on allait faire une pause. Ce sont des gens qui t’accompagnent pour que tu puisses réaliser ta musique. C’est une aventure.
Ton premier EP Mojo, sorti en novembre dernier, est très éclectique, avec Gare du Nord qui est plutôt jazzy, Vérité qui est rétro-pop… Où est-ce que tu puises tes différentes inspirations ?
J’écoute vraiment de la musique depuis que je suis enfant, par mon papa, qui est un peu “chtarbé“, qui aime bien aller en brocante, acheter des vinyles juste parce qu’il aime la pochette ou alors au hasard, tu sais. Il m’a vraiment éduquée à travers ses goûts à lui, qui étaient très larges, aussi bien avec un vinyle de Fela Kuti qu’un soir où il va mettre Claude François à fond, ou alors de la grosse techno qu’il a sur des cassettes. Il aime la musique et il m’a refilé ça. Quand tu es nourrie à ça… Maintenant, j’aime plein de musiques. J’aime énormément le reggae. C’est la musique qui me touche le plus. Ça vient comme ça. Avec mon enfance.
Et justement, que symbolise le mojo pour toi ? Comment as-tu eu l’idée de Mojo ?
Il ne faut pas le dire. C’est quelque chose que tu ressens, et c’est quelque chose qui va et qui repart. Mojo, c’est la deuxième chanson que j’ai faite de toute ma vie. On était en studio avec Tristan Salvati. On n’avait pas d’inspiration, on en avait marre. Et lui m’a dit “on n’a pas le mojo, ça craint” ! On s’est dit “on rentre chez nous”. Je trouve ça marrant qu’il dise tout le temps “mojo”, “mojo”. Tu sais, la musique, c’est tellement insaisissable. Parfois, pendant des heures, tu ne trouves rien, tu essayes de trouver mille mots, et parfois c’est facile comme ça [elle claque des doigts]. Ça rend fou. On parlait, ça n’allait pas, il m’a dit “on n’a pas le mojo” et moi j’ai trouvé la phrase “mojo, t’en vas pas”. Voilà, tout simplement.
Est-ce que tu penses que tu as le mojo, aujourd’hui ? C’est-à-dire, es-tu bien au point où tu en es ?
Oui, c’est rempli de peurs et de doutes, mais je pense que j’ai beaucoup de chance de faire ça. Franchement, c’est un métier rempli de peurs, mais je vis quand même de ma passion, donc je ne peux pas me plaindre. C’est plus l’aspect attentes : ce qu’on attend de toi, la pression, l’argent… ça, ça fait un peu flipper.
Tu prépares actuellement ton premier album, qui devrait sortir dans l’année. Tu as d’ailleurs joué quelques-uns de tes nouveaux morceaux sur scène, tout à l’heure. Est-ce que tu comptes conserver cet éclectisme ?
Oui, je pense qu’il y a toujours un côté assez exotique. Moi, je suis inspirée… Je ne sais pas si tu vois Lizzy Mercier Descloux. C’est ce qu’on appelle de la world music : des Blancs, des artistes qui s’intéressent à la musique du monde. C’est un sujet un peu tendu. Parfois, on me dit “d’où tu t’inspires de ça alors que tu es belge ?”. L’appropriation culturelle… mais, je suis une enfant d’Internet. C’est un peu ça mon inspiration : de la curiosité, de l’admiration pour la musique d’ailleurs.
Dans ton EP, tu parles beaucoup de tes histoires personnelles. Par exemple, de ton grand-père qui te disait “tu vas finir par vendre ton corps à la gare du Nord”. Est-ce que tu souhaites raconter des histoires – tes histoires personnelles – encore longtemps ?
En fait, j’aime bien. Comme on ne connaît pas trop les chansons, je trouve ça toujours un peu plus subtil quand tu as un peu d’infos. Et puis, moi, c’est vraiment comme ça que j’écris mes chansons, avec mes histoires. Je ne peux qu’écrire sur ça. Je trouve ça cool d’avoir une petite histoire avant, parce que tu écoutes un peu les paroles, l’évolution de la chanson… Après, j’ai l’impression que ça fait 5 000 fois que je raconte la même histoire, mais ce sont des histoires qui peuvent toucher tout le monde. Je fais aussi attention à écrire des chansons pour mes proches. J’ai besoin de leur parler à eux, directement, même si parfois j’oublie qu’ils vont entendre les paroles… Je préfère raconter une petite vérité que d’essayer de faire un truc général. Je suis plus dans le personnel.
Tu travailles souvent avec Charlotte Abramow, ton amie d’enfance. Tu as notamment participé au clip Les Passantes et c’est toi qui dessines une tache de sang sur le derrière d’un pantalon blanc, d’ailleurs. Est-ce que tu t’y retrouves dans cet aspect militant ? Est-ce quelque chose qui te tient à cœur, de faire passer des messages ?
J’en apprends tous les jours. Je pense vraiment que toutes les femmes… ça nous donne une voix. Je trouve ça ultra important, et ça fait du bien. L’envie de défendre des choses ! Je trouve ça naturel et je le fais avec mon cœur. Je n’ai pas vraiment écrit de chanson sur ça, mais j’ai fait du mannequinat et je suis totalement contre. On est vraiment dans un monde parallèle par rapport au corps de la femme. Tout ce qui est compétition entre les filles, comparaisons… Tu imagines la torture mentale qui repose sur nous. Je fais des petites séquences “journal intime” [sur Instagram]. C’est comme quand je raconte mes histoires dans ma musique. On voit un peu plus que juste la façade. C’est important et ça me fait du bien. J’ai l’impression d’être plus vraie, de raconter des choses qui m’ont fait de la peine. En plus, j’ai reçu plein de messages de filles qui sont là-dedans, qui ont 18 ans, qui ont dit “ton message m’a bouleversée”. Je trouve ça important, si j’ai souffert de ça, de pouvoir donner des conseils et de faire avancer les choses à mon échelle.
Comme tu le disais, la musique réunit toutes les disciplines artistiques que tu pratiques. Elle nourrit ta peinture et vice-versa, d’ailleurs. As-tu des inspirations dans ta peinture que tu utilises pour tes clips ? Est-ce que tu peux me raconter l’anecdote du clip Mojo, par exemple ?
La peinture, c’est quelque chose de très précieux pour moi. Je peux même passer des heures devant une feuille à peindre. C’est un moment libre et reposant. Cocteau, Miró… ce sont des peintres que j’admire. Miró, si on rentre dans les détails, est un peintre qui a créé un langage à travers des poèmes. Moi, j’admire les peintres qui créent des langages. Moi, c’est l’association de bouches, de nez, des yeux que j’entremêle et qui, pour moi, définissent des émotions. Après, j’adore Frida Kahlo. J’adore la composition de ses tableaux, comment elle retranscrit sa vie, avec un style bien à elle.
[En parlant du tableau qui a inspiré le clip Mojo] Je voulais rendre le tableau vivant. Et, en fait, je travaille beaucoup avec l’association des notes avec les couleurs. Le mojo, c’est tellement énergique que je voulais y associer du rouge. Et, dans la peinture, on a ce qu’on appelle les couleurs complémentaires. On oppose des couleurs. Par exemple, la couleur contraire du rouge, c’est le vert. La couleur contraire du jaune, c’est le mauve. C’est des petits schémas comme ça que j’ai en tête. J’avais envie de mettre deux personnages en opposition, deux couleurs très fortes qui se regardent. On ne sait pas trop s’ils vont s’embrasser ou… Finalement, c’est pour ça que j’ai pris des jumeaux, que l’on a peints entièrement.
Tu cultives donc ce côté pluridisciplinaire, que l’on retrouve également sur le Champs-Élysées Film Festival (entre cinéma et programmation musicale…). Où est-ce que tu te situes par rapport à ça ?
Moi, je fais ça parce que j’aime faire les deux [la musique et la peinture, entre autres]. Et si un jour je réalise un clip ou je ne sais pas… j’ai l’impression que la création, finalement, c’est un élan, c’est quelque chose que tu oses faire et qui vient de toi. Je ne me mets pas de barrière “musique”, “peinture”… c’est un élan, c’est un processus. Tu peux le retrouver dans plein de choses, en faisant la cuisine, en écrivant un message à quelqu’un que tu aimes, je ne me mets pas de barrière.
Comment est-ce que tu vois évoluer ta carrière ? Vers le cinéma, peut-être ?
Pourquoi pas. Maintenant que je suis un peu exposée aux médias, j’ai un peu peur de tout ce qui est image. Ça me stresse un peu. Je me vois plus faire ce premier album, comme une œuvre complète avec la peinture, la musique, le cinéma, on verra si j’ai un projet [qui vaut le coup]. J’aimerais bien grandir en étant un peu plus dans l’ombre. Je suis une fille simple, je viens de Belgique, d’un petit village, quand t’es une petite fille, tu rêves de ça mais en vrai, le bonheur est dans les choses simples. Il faut se mettre des limites, ne pas oublier de voir ses amis, ça s’apprend et ça fait aussi partie du chemin d’un artiste.
Propos recueillis par Laura Gervois
En attendant la sortie du premier album de Claire Laffut, que l’on espère pour bientôt, son EP Mojo est disponible sur les plateformes de streaming (via ce lien). À écouter et réécouter à volonté.
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